Borgne - Renaître de ses fanges

Genre : black metal indsutriel

Label : Les Acteurs de l’Ombre Productions

Localisation : Suisse

Sortie : 14 mars 2025

  « Renaître de ses fanges » marque le retour du groupe helvétique Borgne après un silence qui aura été le plus long d’une carrière riche désormais de onze albums. En tout premier lieu, j’ai été interpelé par l’artwork confié à Gogo Melone. On dit parfois que la pochette est la porte d’entrée d’un album. Cela me semble le cas ici. Celui-ci est particulièrement sombre, on y retrouve cette dominante de noir que l’on retrouvait sur les albums plus anciens. Dans cet artwork, qui donne donc un indice sur la coloration de « Renaître de ses fanges », on observe d’ailleurs différents éléments visuels des précédents opus : ces silhouettes spectrales bien sûr, mais aussi le cimetière et les corbeaux de « Royaume des Ombres », la forêt des « Entraves de l’âme », le paysage montagneux de [∞] et même cette silhouette qui s’élève dans le ciel qui rappelle « Y ».

Pour Bornyhake et Lady Kaos, ce nouvel opus s’inscrit dans une certaine continuité mais aussi certaines ruptures par rapport aux deux derniers albums.

Pour la continuité, comme pour « Y » et « Temps Morts » cette sortie se fait sous le patronage du label français Les Acteurs de l’Ombre «Productions. Continuité, aussi dans l’amplitude de l’album : Borgne est coutumier des albums dépassant le cap de l’heure, « Renaître de ses fanges » ne fait pas exception.

Quelques changements plus ou moins perceptibles sont toutefois à noter. Tout d’abord, et sauf erreur de ma part, O qui s’occupait essentiellement de l’écriture des lyrics a disparu du line-up officiel.

Tous les titres sont écrits et chantés en Français ce qui n’était plus arrivé depuis un moment, quand bien même Borgne a largement plus utilisé la langue de Baudelaire que l’Anglais.

Plus encore c’est la musique du duo suisse qui a évolué vers quelque chose de plus froid encore. Là où « Y » et « Temps Morts » étaient animé de sursauts suggérés notamment par les claviers de Lady Chaos et des boites à rythmes très marquées. Parfois on était à la limite de quelque chose d’électro ou de techno,  ce qui n'est pas le cas de « Renaître de ses Fanges » qui se montre moins versatile. Le morceau introductif « Introspection du Néant » donne d’ailleurs le ton. Près de quatre minutes pour une ouverture purement instrumentale et atmosphérique, c’est long. C’est long mais pas ennuyeux, l’attention étant maintenue par d’infimes oscillations. En clair, le groupe semble quelque peu jouer avec nos nerfs et il ne manquera pas de récidiver par la suite.

Pour beaucoup, et je l’ai déjà entendu à droite à gauche, cet album est trop long. Il faut dire qu’actuellement, il semble y avoir chez certains chroniqueurs et auditeurs une fronde contre les albums qui dépassent l’heure. Dans les faits, la longueur de « Renaître de ses fanges » ne me semble pas être un problème car elle correspond à l’ambiance générale que le duo entend lui donner. Plus factuellement, cette longueur, est dans les standards des albums de Borgne, ce n’est ni l'opus le plus court, ni le plus long des Suisses.

Simplement cette fois, l’ensemble sonne moins indus d'où peut être cette sensation de longueur. Les boîtes à rythmes qui apportaient ce coté parfois très martial et entraînaient dans leur sillage des ascensions émotionnelles, s’estompent assez nettement. « Renaître de ses fanges » baigne davantage dans des atmosphères sombres, et si les claviers sont toujours bien présents, ils s'étendent en nappes glaciales avec un côté  plus dark. Dans l’ensemble j’ai trouvé que beaucoup des titres voyaient Borgne revenir à des horizons plus proches de la trilogie : « Entraves de l’âme », « Royaume des Ombres » et « Règne des Morts ». Les huit titres sont particulièrement immersifs mais je suis conscient que tout le monde ne se rangera pas forcément à cet avis et que certains auraient voulu quelque chose de plus direct et de moins hermétique.

Si l’immersion dans le disque n’est pas forcément aisée, la déambulation dans les différents titres ne l’est pas moins. Oui « Renaître de ses Fanges » dégage quelque chose d’implacablement morne, comme en témoignent ses paroles dont les mots sont un essaim de douleurs, de questions intérieures qui vont rongent jusqu’à votre dernière énergie. C’est un album du tiraillement, coincé entre cette volonté d’élévation et une réalité qui semble tout autre.

Cet effet de déchirement que Bornyhake retranscrit dans un chant à la fois extrême et parfaitement compréhensible, on le retrouve souvent dans la musique tiraillée entre lenteur et agressivité comme cela est le cas sur le morceau « Comme une tempête en moi qui gronde ».  Des formes de lancinances se font jour sur la plupart des morceaux lui conférant un aspect quasi hypnotique à l’image de « Condamnée à errer dans les méandres » ou « Ils me rongent de l’intérieur » et leurs motifs mélodiques qui vont et viennent mais s’impriment dans l’esprit. Les claviers, certes un peu plus discrets  accentuent plus encore cette impression d’onirisme inquiétant. Plus souvent qu’à son tour la lourdeur de la musique se fait sentir notamment sur le titre final « Royaumes de poussière et de cendre » qui est un morceau de choix en terme d’ambiance pesante et sinistre.

Avec « Renaître de ses fanges », Borgne propose une nouvelle fois un voyage au plus profond de l’obscurité. De moments de lumière il n’y a pas ou peu. Délibérément, la musique du duo Suisse se complait dans des ambiances froides, faites d’oscillations reptiliennes. La créature n'est pas forcément de celle qui vous saute à la figure mais lentement, sûrement et vicieusement, elle vous enveloppe, assène ses morsures et son venin se distille lentement en vous et finit par vous posséder.

N - 9/10