Style : black metal
Label : Debemur Morti Productions
Localisation : Suisse
Sortie : 6 décembre 2024
C’est avec la minutie d’un horloger helvétique, que les suisses de Aara enchaînent les albums au rythme d’un par an depuis 2019. 2024 ne fera donc pas exception avec « Eiger » sorti le 6 décembre dernier sur le label Debemur Morti. L’air de rien cet album a une lourde charge : celle de succéder à la grandiose trilogie « Triade » qui transposait le roman « Melmoth ou l’Homme Errant » de l’écrivain irlandais Charles Robert Maturin.
Pour ce sixième opus, Berg et Fluss changent totalement de cadre, tout en conservant l’idée d’album récit. Direction cette fois dans les Alpes suisses en 1936 avec l’histoire tragique d’un groupe d’alpinistes décédés en tentant l’ascension du mont Eiger par la face nord. Dans les années trente, cette ascension était alors l’une des dernières parois des Alpes à ne pas avoir été vaincue (avec la face nord du Cervin et celle des Grandes Jorasses). Composée au départ de dix grimpeurs allemands et autrichiens, l’expédition bascule très rapidement en tragédie. Dès l’entraînement l’un des alpinistes meurt, comme un premier avertissement de la montagne. Dans les jours qui suivent, les conditions météorologiques sont si mauvaises que cinq autres renoncent au projet. Les quatre restant tentent tout de même l’aventure mais avalanche, chute, asphyxie et hypothermie les emportent tour à tour.
L’artwork a une nouvelle fois été crée par l’artiste Michael Handt , sa peinture s'inspire d’une photo de presse prise au moment où les sauveteurs ont récupéré le corps sans vie de Toni Kurz pendant à sa corde après être mort de froid.
Au delà du factuel « Eiger » est aussi l’écrin qui va servir à Aara pour mettre en musique divers sentiments que la montagne peut faire surgir. Elle peut ainsi interroger sur la relation homme / nature et cette idée, assez répandue, que les sommets sont des entités presque vivantes qui suscitent chez les montagnards une certaine humilité et chez les alpinistes une soif de conquête quasi obsessionnelle.
S’emparant de ces contrastes et de cette ambivalence, la formation suisse s’attelle à retranscrire aussi bien l’exaltation et l’émerveillement provoqués par les reliefs alpins que les tragédies que ces éléments versatiles et incontrôlables sont capables de déchaîner sur les imprudents ou ceux qui entendent défier les défier.
Pour cela on retrouve ce socle musical que l’on connaît bien désormais chez Aara : cascade de trémolo épiques ou éthérées, riffs glaçants, batterie cinglante et bien sûr le chant éraillé de Fluss. Il est assez probable que certains ne manqueront pas de trouver la formule un peu répétitive. Toutefois si « Eiger » ne renie en rien sa filiation, il est traversé de subtiles évolutions en lien avec sa thématique et sa dramaturgie.
Ainsi au fur et à mesure que le récit bascule dans l’horreur, les titres se teintent d’ambiances plus sombres et tragiques. «Die das wilde Wetter fängt » et « Senkrechte Welten » débutent plutôt sous une empreinte assez classique à la fois mélodique et épique permettant de souligner la grandeur et la majesté de la montagne et le magnétisme qu’elle exerce sur les hommes.
Le troisième morceau, « Felsensang » est un premier point de bascule, celui où l’expédition est véritablement confrontée aux parois verticales de l’Eiger. Le morceau commence dans une atmosphère plus lourde et devient de plus en plus tempétueux. Un petit break avec des cordes acoustiques et un léger souffle de vent amènent une respiration, un quasi silence lourd de menaces avant que les éléments ne se déchaînent.
Sur « Todesbiwak », la nuit tombe sur l’expédition, la musique oscille entre phases contemplatives, plutôt calmes et d’autres où la tension monte comme si la montagne était en train de refermer peu à peu sa main sur le groupe d’alpinistes.
A partir de « Der Wahnsinn dort im Abgrund », qui commence de manière très directe, le récit bascule dans l'épouvante avec la dégradation des conditions météorologique : vent, pluie, givre, les hommes ne deviennent que de petites étincelles de vie fragiles au milieu d'une paroi de roches et de glace . De légères dissonances se font jour et donnent à la musique de ce morceau une gravité plus marquée avec un tempo qui oscille entre lourdeur et tempête.
Peu à peu l’ambiance s’alourdit. Si les alpinistes ont décidé de faire demi face aux éléments qui se déchaînent, il semble déjà trop tard. La main de l’Eiger s’est, cette fois, refermée sur eux. « Zurück zur roten Fluh » et Grausig ist der Blick » sont encore habités de cet espoir de s’échapper mais les ténèbres de la montagne les enveloppent de plus en plus et les emportent avec dans des tonalités de plus en plus graves et dissonantes.
Le huitième et ultime morceau vient sceller le sort de Kurz, dernier membre encore vivant de l’expédition. Les sauveteurs sont là, tout près de lui mais le froid finit par emporter sa dernière lueur de vie.
Avec « Eiger », Aara nous donne probablement son album le plus sombre à ce jour. Une nouvelle fois, comme ils avaient pu le faire sur la trilogie « Eos », « Hemera » et « Nyx », Berg, Fluss et J. parviennent à mettre en musique un ce récit dramatique. Nul doute qu’ils pousseront probablement d’autres auditeurs à se plonger dans cette histoire où l’homme avide de conquête se retrouve balayé comme un fétu de paille par une nature grandiose par sa beauté, souveraine et insaisissable par sa puissance. Quelle maestria chez ce groupe qui nous délivre année après année des œuvres d'une grande qualité.
L. - 9/10
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