
Genre : black metal
Label : Eisenwald
Localisation : Québec
Sortie : 29 mars 2024
Il y a un tout petit peu plus d'un an, le groupe québécois Givre sortait son troisième album sur le label Eisenwald. Celui-ci se nommait "Le Cloître" et faisait suite à deux premiers opus eux aussi parus ou réédités sur le label allemand. Le groupe a également un peu tourné dans nos contrées avec ses compatriotes de Miserere Luminis, peut-être les avez vous donc déjà croisé à cette occasion.
Givre est un groupe singulier. Québécois, on ne peut pas le rattacher à la scène metal noir qui a fait pour beaucoup la réputation du Québec dans le petit monde du black metal. Cette différence que Givre cultive, elle ne provient pas tant de la musique que des thématiques du groupe.
Prenons ce troisième album donc : il est entièrement consacré à des figures féminines du catholicisme. Certaines sont très connues (Sainte Thérèse d'Avila), d'autre beaucoup moins. Certaines ont vécu au Moyen âge (Sainte Hildegarde de Bingen, Sainte Marguerite de Cortone) d'autres à l'époque moderne et une au XXe siècle (Marthe Robin). Certaines sont devenues Saintes, d'autres non. Mais toutes ont vécu une existence marquée par une foi dépassant les frontières communes. Il n'y a pas ici de cas de possession comme pourraient s'en délecter la plupart des groupes black metal, juste des femmes imprégnées d'une croyance où l'extase côtoie de près la folie et parfois la douleur.
Alors évacuons la potentielle polémique : Givre serait-il un groupe catho? Je n'en sais fichtre rien, je ne le pense pas et quelque part je m'en fiche un peu et même totalement. Ce que je pense en revanche, et que j’apprécie chez ce groupe, c'est son approche documentaire et à contre courant de la doxa black metal. Peu importe que cela soit voulu ou non mais c’est un profil d’artistes que j’apprécie.
L'album n'a d’ailleurs pas été sans susciter quelques malentendus ou incompréhensions de la part de certains. Il est vrai que parler de figures de sainteté ne tombe pas sous le sens commun dans les sphères du metal noirci. Pire cela pourrait s'assimiler à une provocation voire à une sorte de sacrilège…Le syndrome de l'arroseur arrosé.
Pourtant, la catholicisme possède nombre de facettes largement aussi sombres que les basses œuvres du malin, on pourrait penser aux composantes les plus mystiques ou doloristes de cette religion et à leurs incarnations au travers de différentes figures ainsi que dans des œuvres d’art dont un nombre conséquent ont d'ailleurs fini sur les pochettes d’albums de black.
En bref l’approche de Givre est loin d’être déconnante comme on dit. Elle l’est d’autant moins qu’elle s’accompagne d’une véritable dimension documentaire. En effet pour chacune des figures évoquées ici, Givre utilise des textes écrits des mains des personnages évoquées ou des hagiographies rédigées par ce que l’on pourrait appeler des témoins proches. A cela, sont incorporés quelques extraits sonores, citons celui du film « Le dialogue des Carmélites » (1960) ou encore un autre issu d’une pièce de théâtre de Hildegard Von Bingen dans le morceau qui lui est consacré.
Outre une thématique riche et sérieusement documentée, Givre donne un plein accomplissement de ses idées par la musique. « Le Cloître » témoigne d’un grand pas en avant musicalement par rapport aux deux premiers opus. Bien que pétris de qualités déjà évidentes, ces deux œuvres antérieures comportaient quelques maladresses techniques qui, certes, participaient à leur charme mais pouvaient faire un peu tiquer. Rien de cela sur ce troisième album où on sent que le groupe a beaucoup travaillé. Résultat? « Le Cloître » est de loin l’album le plus cohérent et le plus abouti du groupe à ce jour. Il plonge dans un univers qui selon la vie des figures abordées va être tantôt sombre et douloureux ou à l’inverse davantage baigné par la plénitude. Chaque titre possède ainsi une coloration liée à la biographie de la personne évoquée. Parlons, à titre d’exemple, du deuxième titre évoquant à Louise du néant, jeune noble, née en 1639 qui fut affectée par une crise mystique telle qu’on l’a cru devenue folle au point de l’enfermer à la Salpêtrière à Paris. Cette existence troublée, la musique la retranscrit parfaitement au travers d’ambiances de folie furieuse avec des cris et des stridences. S’en suivent des passages qui dégagent une noirceur et une lourdeur écrasante quand d’autres inclineront davantage vers des touches plus lumineuses. Cette démarche de biographie mise en musique Givre la déploie avec autant de réussite dans les six compositions proposées ici.
Au travers de cet album conceptuel, Givre parvenait donc à proposer une œuvre véritablement intéressante dans son fond comme dans sa forme. Honnêtement et vue la fréquence à laquelle cet album s’invite plus souvent qu’à son tour dans mes oreilles, je le considère comme figurant parmi les opus qui m’ont le plus interpelé l’an dernier. Amen.
L
Tracklist :
1. Marthe Robin (1902-1981) (09:55)
2. Louise du Néant (1639-1694) (06:52)
3. Sainte Thérèse d'Avila (1515-1582) (05:04)
4. Marie des Vallées (1590-1656) (05:54)
5. Sainte Hildegarde de Bingen (1098-1179) (05:36)
6. Sainte Marguerite de Cortone (1247-1297) (08:11)
Ajouter un commentaire
Commentaires